Le journaliste Paul Roy du quotidien montréalais La Presse a passé une semaine en Virginie (USA) en fin mars 1999 à un camp d'entraînement pour cyclosportifs et membres des équipes vélo du Québec, route et montagne.

Il en a rapporté une série d'articles dont celui-ci publié le 7 avril 1999.

La vocation tardive de Lyne Bessette

Paul Roy

STUARTS DRAFT, Virginie - Si Lyne Bessette était un gars et qu'elle jouait au hockey, elle gagnerait sans doute des millions. Comme coureuse cycliste professionnelle avec l'équipe américaine Saturn, la grande athlète de 24 ans de Knowlton, dans les Cantons de l'Est, ne s'en tire quand même pas mal.
- C'est-à-dire ?
- À peu près le salaire d'un prof d'école...

C'est d'ailleurs le métier qu'elle avait choisi, après le cégep, quand elle s'était inscrite en enseignement des maths et de la physique à l'Université de Sherbrooke. Erreur.

« Ce n'était pas ma branche», nous a-t-elle confié au camp d'entraînement cycliste de Stuarts Draft, en Virginie, où nous l'avons cotoyée durant une semaine.

L'université, c'était en 1995, une année où rien ne semblait marcher pour l'athlète de 5'10" ( 135 Ibs). Coureuse de demi-fond (800, 1500 mètres, cross country), elle plafonnait. À 20 ans, elle s'est mise au vélo.

Le championnat provincial se tenait à Dunham, près de chez elle, cet été-là. Elle s'y est pointée.

« Je n'avais jamais roulé plus de 40 kilomètres. Mais j'avais un bon cardio et j'étais capable de souffrir. J'ai fini 3e au contre-la-montre et 7e sur route ( 90 km ). »

En 96, la Coupe des Amériques se tient à Sutton. Un peloton « assez relevé ». Sue Palmer, des Américaines... Elle fait dixième au général.

L'équipe du Québec l'appelle : « On s'en va en Abitibi ! »

« C'était trop pour moi ( le Tour de l'Abitibi ), je n'ai pas terminé. »

En 97, aux sélections en vue des Jeux du Canada, elle gagne la route, le contre-la-montre, le critérium, et elle finit 2e en montagne.

Les Jeux du Canada ont lieu à Brandon (Manitoba). Elle fait 3e au contre-la-montre et chute au critérium. «Je pensais m'être brisé le coude, je n'arrivais plus à le déplier. J'ai quand même décidé d'essayer la route ( 78 km). Deux tours après le départ, je suis partie en échappée... »

Personne n'a pu la rattrapper. Première, avec près de 4 minutes d'avance.

Sa saison 98 débute en Virginie, au camp d'entraînement de Stuarts Draft. La première semaine terminée, elle demande à Marc Dufour, l'organisateur, s'il ne la garderait pas deux semaines de plus. Elle pourrait faire la vaisselle, encadrer des cyclistes... Dufour, comme bien d'autres, était déjà sous le charme de la grande blonde de Knowlton : « Aussi longtemps que tu veux ! »

Mi-avril, l'équipe canadienne l'expédie en Europe « pour un test ». Tour de la Haute-Garonne (avril-mai 98) : 13e au général. Tour de l'Aude, « un des plus gros tours féminins, avec beaucoup de cols » : « Le deuxième jour, 16 mai, j'étais en échappée avec Fabiana Luperini, Cathy Marsal, des grimpeuses de renommée mondiale. Je me demandais ce que je faisais là! »

Elle travaillait pour Linda Jackson, la « numéro un » de l'équipe canadienne. « Mais Linda n'était pas dans le coup. Il a fallu que j'aille la chercher et que je la remonte trois fois. »

Dans la descente qui a suivi, Lyne a chuté. Fracture de la clavicule. Trois semaines de réhabilitation à Knowlton, puis Coupe du monde à Montréal, où elle finit dans le peloton de tête.

Elle reçoit un appel de son entraîneur, Éric Van den Eynde : l'équipe américaine Saturn veut la rencontrer.

Elle fait une course à Boise (Idaho) : 17e sur 140 coureuses, dont les meilleures européennes, et première de son équipe. « Les filles de Saturn, c'étaient mes idoles. En roulant avec elles, je n'arrêtais pas de me répéter: "Je suis Lyne Bessette, de Knowlton !" »

D'autres résultats intéressants en France, en Allemagne, aux championnats canadiens.( 3e sur route, 4e au contre-la-montre). Puis départ pour Kuala Lumpur, où se déroulent les Jeux du Commonwealth.

En échappée avec la Néo-Zélandaise Susannah Pryde et l'Australienne Anna Wilson, Lyne l'emporte au sprint après 92 kilomètres. Médaille d'or ! Sa première grande victoire.

C'était le 13 septembre. Pierre Champagne, un consultant en gestion qui avait séjourné à Stuarts Draft en même temps qu'elle, en avril - et qui l'a retrouvée la semaine dernière -, regardait la course à la télévision. Il a sauté au plafond : « Crime ! C'te fille-là lavait la vaisselle, où j'étais, en Virginie ! »

Après Kuala Lumpur, elle s'en va aux Championnats du monde, en Hollande. Mais elle est fatiguée, déconcentrée. Ses résultats sont à l'avenant.

Et c'est « stressée » qu'elle entreprend sa saison 99, en février, en Califomie. Le stress se dissipera du 2 au 7 mars, alors qu'elle gagnera à Redland, ( Californie ), une course par étapes de cinq jours ; et du 18 au 20 mars, alors qu'elle finira troisième (derrière deux coéquipières de Saturn ) à Sea Otter (Californie).

Ces deux résultats lui ont « enlevé de la pression ». « Je sais que j'ai ma place, maintenant. »

Cette semaine, Lyne s'envole rejoindre son équipe en Oregon. Elle sera au Tour de l'Aude, en France, du 7 au 17 mai. Puis on la verra à Montréal le 30 mai, lors de l'étape de la Coupe du monde qui s'y déroulera. Le 7 juin, elle participera à une autre étape de la Coupe du monde à Philadelphie. Le 26 juin, elle sera à Sherbrooke pour les sélections en vue des Jeux panaméricains de Winnipeg (juillet-août), et des jeux olympiques de Sydney (septembre 2000 ).

Voilà ses objectifs à court et moyen termes. Elle refuse de regarder plus loin. « Je vais voir ça course par course, année après année. »

Compte-t-elle courir encore longtemps ?

« Je ne pense pas faire ça encore dix ans. Si j'ai des enfants, je ne les traînerai pas aux courses, ça va être fini là. »


Une fille parmi les gars

Paul Roy, , Stuarts Draft, Virginie, U.S.A.

On se serait cru à une course d'accélération de chars. En fait, Vincent Jourdain, entraîneur de l'équipe du Québec sur route, dirigeait un de ses entraînements spécifiques. 100 mètres, départ arrêté.

Une route droite et planche sur laquelle on délimite une distance de 100 mètres. On aligne quatre coureurs et on dit « Go ! »

Les cyclistes s'élancent, les gars sur 53 x 14, les filles sur 53 (ou 52) x 15. Les meilleurs réussissent à dépasser 50 km/h ! Vous essayerez ça...

Chacun répète l'exercice huit, dix fois. Dur pour les athlètes, dur pour l'équipement. Les cadres se tordent, les souliers déclipent des pédales. Un coureur a même cassé son guidon en deux, devant nos yeux, lors d'un départ.

Le but, au dire de Vincent Jourdain, c'est de développer la force explosive des cyclistes.

Comme dans les autres exercices spécifiques, on aligne des filles avec des filles, des juniors avec des juniors... Une exception : Lyne Bessette. La grande coureuse de 24 ans s'entraîne avec les plus forts d'entre les gars.

Aussi forte que les gars ? À peu près tout le monde s'entend là-dessus.

Deux jours plus tôt, lors d'un exercice " d'intervalles " de 20 minutes, elle avait fait trimer dur les six gars de son peloton. L'un d'eux avait même décroché, incapable de soutenir le rythme.

Si elle courait avec les meilleurs coureurs du Québec, à quel rang Lyne Bessette se classerait-elle ?

« Peut-être 15e, risque Vincent Jourdain... Et s'il y avait des côtes, ça ne pourrait que s'améliorer, c'est une grimpeuse. »

Pour Éric Grypinich, vétéran coureur et commentateur articulé de la chose cycliste, Lyne est carrément « la meilleure affaire qui soit arrivée au cyclisme canadien depuis Steve Bauer ».

« Je la vois au top, dit Vincent Jourdain, elle a tous les atouts. »

En attendant, ceux qui la cotoient sont impressionnés par sa simplicité et sa gentillesse. " On l'imaginait inaccessible, nous a confié une jeune coureuse de l'équipe du Québec. Or elle vient rouler avec nous, elle nous donne des conseils, elle nous parle ! »


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