« Je ne peux concevoir un autre mode de vie», dit Pierre Bouchard
Paul Roy
La route des Os, entre Magadan à Yakutok, en Sibérie orientale, porte bien son nom. Longue de 1500 kilomètres, elle est construite sur les cadavres de quelques millions de victimes des goulags staliniens. Entassés dans des wagons-cargos, ces forçats arrivaient de tous les recoins de l'ex-URSS pour peiner dans les mines d'or et d'uranium qui foisonnaient dans les environs.
Pierre Bouchard, 32 ans, de Loretteville, et Janick Lemieux, 25 ans, de Saint-Hyacinthe, se sont posés à Magadan en mai dernier. Les camps de concentration avaient disparu, mais les deux Québécois ont trouvé une ville grise, froide et austère. Une ville portuaire d'une centaine de milliers d'habitants située à 60 kilomètres de l'aéroport, distance que les deux Québécois ont parcouru à vélo le jour de leur arrivée. Pierre transportant 50 kilos de bagages, Janick 30 kilos.
«Nous avons monté notre tente dans un jardin communautaire et, le lendemain, nous nous sommes réveillés sous 15 centimètres de neige», raconte Pierre. C'est ainsi que devait débuter une expédition qui mènerait le couple de Magadan à Calcutta, en Inde. Un périple de neuf mois et 10 000 kilomètres, au cours duquel ils traverseraient la Russie orientale, la Mongolie, la Chine, le Tibet, le Népal et le nord de l'Inde.
À Magadan, ils se sont fait offrir le gîte par une famille de quatre, dans «un trois et demi grand comme nos deux et demi» d'un très soviétique building. «Un appartement typique, dans une cage à poules.» Ils y demeureront une semaine, le temps d'apprécier le contraste entre froideur architecturale et chaleur humaine.
Merveilleuse Mongolie
La route des Os n'est guère fréquentée. Entre Magadan et Yakutsk, une douzaine de villages sont encore habités. Mais la plupart ne le sont qu'à moitié, leurs maisons abandonnées leur donnant un air sinistre.
Une route dure, dont plusieurs ponts ont disparu, forçant les voyageurs à traverser des rivières à gué, de l'eau glacée jusqu'à la taille. Dure pour la mécanique aussi.
«Il y avait des sections de 250 à 300 kilomètres avec rien, pas l'ombre d'un village, raconte Pierre Bouchard. En tout, nous avons cassé cinq jantes.»
Il dit avoir été impressionné par la débrouillardise des habitants. «À un endroit, alors qu'on ne pouvait plus avancer, un camionneur nous a machiné une prothèse métallique que nous avons fixée à une jante et qui a tenu jusqu'en Mongolie!»
«Merveilleuse Mongolie! Deux millions d'habitants, des éleveurs de troupeaux qui habitent eux-mêmes sous la tente. Des Mongols à dos de cheval, de chameau. De temps en temps, on trouvait une petite chambre d'hôtel. Là, on ne se privait de rien... »
Si Janick en était à son premier voyage à vélo, Pierre, lui, parcourt la planète sur deux roues depuis la fin de son bac en philosophie, en mai 1990. Aussi, quand il est entré en Chine, le ler septembre dernier, plus de trois mois après son départ de Magadan, c'était sa quatrième visite. Mais, avoue-t-il, il n'avait jamais vu la Chine comme il l'a vue ce jour-là. «À Erlian, j'ai vu plus de nourriture en une journée que durant les trois mois et demi précédents. L'abondance, on était fou braque !»
Le couple a traversé la Mongolie-Intérieure, remonté la fleuve Jaune jusqu'à sa source, sur le plateau tibétain, puis a mis trois autres mois pour atteindre le Népal, grimpant chemin faisant une trentaine de cols. «Durant octobre, novembre et décembre, il faisait souvent jusqu'à moins 25 la nuit. Et il ventait et neigeait.»
Des mois d'autant plus durs que désormais, les deux voyageurs étaient habités par une bactérie qui leur causait diarrhée et vomissements. Trois mois à chercher la cause de leur mal.
«À Katmandou, on connaissait bien : on a réglé tout ça en 12 heures avec une pilule accessible comme du bonbon !»
Fin février dernier, arrivés à Calcutta. «On est allés acheter nos billets d'avion et on est rentrés.»
Masochisme ?
- Pourquoi cette misère? Où est le plaisir ?
- Ça frôle le masochisme ... j'imagine. L'idée, c'est d'aller rencontrer des gens, de voir les paysages de la planète. Or, il y a des endroits reculés et il faut prendre les moyens pour y aller. Le vélo procure une intimité de contact avec le monde et la nature.
Pierre et Janick comptent passer les prochains mois dans la région de Charlevoix, où ils se sont installée pour écrire un livre, collaborer à des magazines, renouer avec leurs commanditaires - dont le fabriquant de vélos Kona - et présenter leur diaporama pédagogique dans les écoles.
Puis, ils mettront le cap sur la côte ouest, où ils ont leurs habitudes, pour faire là aussi la tournée des écoles et préparer leur prochaine expédition : les volcans du Pacifique.
«Le cercle de feu du Pacifique, précise Pierre. Une boucle qui va nous mener de Vancouver à ... Vancouver, en reliant les volcans qui bordent le Pacifique. De 24 à 30 mois.»
- Vous comptez mener ce mode de vie longtemps ?
- Pour le moment, je ne peux en concevoir un autre.
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