Cours THL- 15770: HISTOIRE DE LA SPIRITUALITÉ MODERNE ET CONTEMPORAINE
Automne 1998



3.2 Les idées maîtresses de la spiritualité bérullienne



La spiritualité de Bérulle a évolué d'un théocentrisme très marqué où la place du Christ était très mince vers un christocentrisme de plus en affirmé sous l'influence de la spiritualité du Carmel réformée avec lequel il a été en contact assidu à partir de 1604. En effet le contact avec les compagnes de Thérèse d'Avila, Anne de Jésus et Anne de Saint-Barthélémy, l'améne à passer du théocentrisme abstrait de Benoît de Canfeld, capucin anglais très populaire dans le milieu dévot à une vision plus christocentrisme entre 1605 et 1608.



3.2.1 Idée de fond



Pour Bérulle, nous devons faire retour à Dieu dont nous sommes la créature et l'image, ce qui implique que nous devons commencer d'être ici-bas ce que nous serons pour l'éternité: des adorateurs devant la majesté de Dieu. Ce mouvement de retour à Dieu se réalise dans l'économie su salut actuelle par Jésus Christ qui est le parfait adorateur du Père et dont nous devons reproduire la vie et les états intérieurs.

On pourrait dire que la spiritualité bérullienne est théocentrique dans son but: nous sommes sortis du Père et nous devons retourner à lui et christocentrique dans son moyen: le moyen essentiel pour faire le retour à Dieu est le Christ, le Verbe Incarné.

Le mystère de l'incarnation acquiert ainsi une importance primordiale. C'est pourquoi Bérulle a été appelé par le pape Urbain VIII l' "Apôtre du Verbe Incarné". On peut donc dire qu'Il y a chez Bérulle un christocentrisme qui va de pair avec son théocentrisme.

Bérulle va développer un vocabulaire spécial pour exprimer ses intuitions et sa vision. Quatre termes peuvent nous permettre de mieux la cerner.



3.2.2 Le vocabulaire bérullien



3.2.2.1 L'adoration

Bérulle est saisi par la majesté de Dieu qui fait naître un sentiment de crainte révérencielle, d'où un aspect de gravité, de sérieux dans ses écrits. Pour Bérulle cette attitude s'exprime le mieux sous le terme "adoration". qui consiste à s'abaisser devant Dieu. L'adoration n'est pas la louange exubérante, mais le prosternement. C'est l'acte central de la vertu de Religion. Pour Bérulle, Jésus en tant que Verbe Incarné, par sa nature humaine, se présente devant Dieu comme le parfait adorateur du Père. L'adoration se développe par la prise de conscience de notre état de créature, dépendante de Dieu de qui elle tient tout ce qui l'a fait et l'anime. C'est pourquoi l'adoration sera appuyée sur une prise de conscience de son néant. Un autre mot essentiel à la spiritualité bérullienne.

3.2.2.2 Une prise de conscience de son néant , de sa situation de créature

L'expression "néant" ici est utilisée dans un sens métaphorique. Elle se réfère à un jugement de valeur sur le créé un peu à la manière de saint Jean de la Croix lorsqu'il parle du "Rien". Elle veut dire simplement que sans Dieu nous sommes néant. Nous sommes ontologiquement, dans notre être "relation à Dieu", nous ne nous pouvons nous comprendre vraiment sans nous regarder en rapport avec Dieu non seulement sur le plan de l'agir mais aussi sur le plan de l'être. L'homme est vu dans ses aspects finis de créature, dans ses limites de toutes sortes (temps, espace, sentiments...), dans son "néant" par rapport à Dieu. L'anéantissement n'est pas la négation de la bonté de la créature, mais la prise de conscience de son état de créature finie, devant Dieu. Il s'agit non pas d'un pessimisme sur la nature humaine, mais de la prise de conscience de nos limites tre misère dans un sens augustinien (Cognet, L., La spiritualité moderne... p.347). D'où l'importance de s'anéantir devant Dieu.

D'où l'importance de l'adoration.Cette facette de la spiritualité bérullienne fut très développée par un de ses disciples, le Père de Condren qui lui donne un importance exagérée. Condren en arrive ainsi à un espèce de "néantisme" axé sur le sacrifice, la "négation", la réparation, les choses qui font mal, etc. C'est hélas cette tradition qui dans bien des cas a pris le dessus par la suite chez les disciples de Bérulle (au XVIIIème et au XIXème siècle en particulier)

3.2.2.3 États intérieurs du Verbe incarné

Le coeur des perceptions de Bérulle toutefois se trouve dans le mystère de l'Incarnation.

Pour lui, le Christ qui est le Verbe de Dieu est conçu comme étant toujours en relation avec son Père, comme étant toujours en état de Fils et comme étant toujours en état de Sauveur. Ceci implique concrètement que, en chacune des circonstances de sa vie, Jésus se réfère au Père dans son vécu, dans son état, son être même.

Pour Bérulle, les actions du Christ sont des gestes posés par un homme qui subsiste de la personne même de Dieu. Pour lui, les actes du Christ ont une valeur éternelle. Les actes du Christ sont théandriques. Le Christ ressuscité est toujours interpellant et priant devant son Père. Bérulle va en déduire une application concrète. Concrètement, dira-t-il, il y a une grâce spéciale pour chacun des actes du Christ. Ils ne sont pas terminés, il y a une présence des actes du Christ, des mystères du Christ qui se continuent dans la suite des temps, encore aujourd'hui.

C'est ce que Bérulle appelle les "états intérieurs du Verbe Incarné": ce sont les mystères de la vie du Christ dans leur aspect de présence vivante qui se continue. Le chrétien cherche à voir comment le Christ vivait les choses par rapport à son Père. Il "considère"", regarde continuellement comment le Christ se situe par rapport à son Père. La vision bérullienne du rôle du Christ à mesure qu'il précise sa pensée prend de plus en plus un sens paulinien.

On pourrait donner cette définition de ce qu'il entend par "états intérieurs du Verbe Incarné", après qu'il ait fait son "virage christologique" (1608). Un "état intérieur" de correspond à

"l'attitude intérieure de Jésus en chacune des circonstances de sa vie terrestre ou glorieuse, considérée comme une réalité éternelle dans la mesure où cette vie est assumée par une personne divine" (Cognet l.c. p.345).

Bérulle scrute ces états d'abord du point de vue ontologique c'est-à-dire du point de vue de la position de Jésus par rapport à son Père et à nous dans chacun des mystères de sa vie. Il en viendra petit à petit à scruter aussi les aspects psychologiques (sentiments, hésitations, joie, souffrances etc..) de ces "états intérieurs".

Il distingue globalement deux états de base dans le Christ qui représente les deux volets du mystère pascal. Il les appelle l'"état humilié" et l'"état glorieux". Ces deux états sont intimement liés. Il ne peuvent pas se séparer l'un de l'autre. Ces deux états "fondamentaux" peuvent se configurer de façon différente selon les situations et les circonstances. On a ainsi plusieurs autres "états intérieurs".

L'ensemble des mystères et des états du Christ ont des effets sur les âmes, conformes à leur spécificité pourrait-on dire. Il y a, en d'autres mots, une grâce particulière reliée et définie par chacun des états du Verbe Incarné cf. Texte dans le Recueil de textes et documents.

3.2.2.4 Adhérence

L'adhérence est la conformité de la vie du chrétien avec ces états intérieurs du Verbe incarné. Cette conformité se développe par la prière, mais aussi en les imitant et en les reproduisant dans sa vie. L'imitation du Christ est au coeur de la synthèse bérullienne. Cette imitation n'est pas une imitation matérielle, mais une attitude de communion à sa relation à son Père, à ce qui le fait vivre. (Voir le texte dans les documents fournis).

Définition du mot adhérence chez Bérulle.

"L'adhérence, selon le Père Cognet, commence au Baptême: elle a son fondement dans la grâce baptismale et s'identifie à notre vocation de chrétien. Elle consistera essentiellement à entrer dans les états du Verbe Incarné c'est-à-dire à conformer notre vie intérieure à sa vie intérieure en chacun des moments de son existence en conformité avec les événements de notre existence à nous" (Cognet dans La spiritualité moderne... p. 345.

Cette conformité n'est pas une simple et banale imitation matérielle comme on l'a souligné plus haut, il s'agit d'une véritable transfusion en nous de la prière, des sentiments du Christ etc. Il ne s'agit pas uniquement d'une prise de conscience. Il y a plus. Il se produit comme une identification progressive au Christ, une appropriation de réalités autres, du mystère chrétien et du réel de la foi qui, par ailleurs, transcendera toujours la conscience et l'expérience que nous pouvons en avoir.

Cette vision plus biblique s'impose petit à petit à Bérulle.



NOTE: Marie et le prêtre sont dans un état spécial d'adhérence au Verbe Incarné. Marie est en état, en office de Mère vis-à-vis Jésus de façon continuelle (éternelle). Jésus est toujours vis-à-vis d'elle en état de Fils.

Cela donne une mariologie très riche, proche de Lumen Gentium de Vatican II. La dévotion mariale de l'École bérullienne s'appuie sur la place de Marie dans l'histoire du salut. Elle est très différente de la dévotion mariale du Moyen-Age ou encore de la dévotion mariale de la religion populaire qui s'attarde aux apparitions de la Vierge ou qui développe une orientation plutôt sentimentale.

Le prêtre aussi est dans un état spécial d'adhérence à Jésus. Il est comme la reproduction de Jésus dans son peuple, Jésus est l'"Exemplaire" et le prêtre est un "autre Christ". Il est ainsi invité à reproduire de façon spéciale les sentiments de Jésus dans sa vie. Comme Jésus qui s'offre, il doit s'offrir tout entier en sacrifice. Dans cette perspective, l'Eucharistie prend une place centrale dans la spiritualité sacerdotale bérullienne. Le prêtre est l'homme de la Messe, du sacrifice de la croix. La Messe est la reproduction de l'acte parfait d'adoration de Jésus qui dans sa Passion et sa mort s'anéantit totalement et rend à Dieu le parfait hommage de tout son être.

Conclusion

Voici en résume les principaux thèmes qui se dégagent de la spiritualité bérullienne chez Bérulle et ses continuateurs. a) L'esprit de "religion" et d'adoration. Théocentrisme. (Le mot "religion" est entendu au sens de ce qui règle nos rapports avec le Créateur, sens très ancien du mot). b) La "dévotion" au Verbe incarné. Christocentrisme. ("Dévotion" ne se limite pas ici aux dévotions, comme la dévotion à l'Enfant-Jésus ou au Sacré-Coeur. La "dévotion" ici, c'est la médiation, la contemplation, la "considération" du Verbe Incarné. c) La "souveraineté" ou l'importance primordiale de Marie à cause de son état de Mère de Dieu. d) L'"exaltation" de l'état de prêtrise. Le prêtre ordonné est comme un "autre Christ", un "double" de Jésus-Christ.



3.3 Les continuateurs



3.3.1 A l'Oratoire

Père Bourgoing, 1585-1662: Troisième supérieur de l'Oratoire, le Père Bourgoing est un de ceux qui ont contribué à faire connaître Bérulle. En 1644, il a édité les oeuvres de Bérulle. Il a été le vulgarisateur de la doctrine bérulienne. Jusqu'à il y a trente ans, on ne connaissait Bérulle qu'à travers le Père Bourgoing. Par lui, le bérullisme s'est diffusé.

Il a un peu accentué l'aspect christocentrique. Bérulle est peu lu, mais on le connaît à travers le Père Bourgoing. Brémond, en 1929, propose de revaloriser la théocentrisme de Bérulle. Bérulle a été connu à travers d'autres, car peu l'ont lu lui-même.

"Il n'a rien d'un penseur, et il est difficile de voir en lui plus qu'un vulgarisateur, consciencieux, mais diffusant un bérullisme quelque peu raccourci, d'où sont éliminés tous les problèmes que pose le complexe développement de la pensée du maître" (Cognet)

Père de Condren, 1588-1641: Le successeur de Bérulle à l'Oratoire. Il a accentué les aspects d'anéantissement. Il avait un caractère très pessimiste et cela paraît beaucoup dans l'ouvrage: L'idée du sacerdoce et du sacrifice de la messe. Insistance sur le sacrifice. C'est dans la ligne du concile de Trente. Ligne du néantisme, de la destruction, de l'annihilation.

Il a une influence sur le jeune abbé Jean-Jacques Olier dont il est le directeur spirituel.

3.3.2 Jean-Jacques Olier (1608-1657)

Olier était un abbé de cour prébendé, c'est-à-dire qu'il avait des ressources financières: deux prieurés, une abbaye et plusieurs autres ressources. Il se convertit en 1633. Il accepte alors sa vocation et son état de prêtre, puis se prépare à l'ordination sous la conduite de saint Vincent de Paul qui l'assistera sur son lit de mort. saint Vincent de Paul le voudrait évêque, mais son directeur spirituel, le Père de Condren s'y oppose. Tout se suite après son ordination il connaîtra une longue crise spirituelle t psychique où il développe beaucoup d'anxiété. Crise ordre névrotique, dirait-on aujourd'hui, durera jusqu'en 1641.

A 33 ans, curé de la paroisse de Saint-Sulpice à Paris, il fonde un premier séminaire ( sur la rue de Vaugirard à Paris( pour la formation dues futurs prêtres qui ne fonctionne pas longtemps, mais il revient à la charge et met sur pied le Séminaire de Saint-Sulpice en 1643.l Il fonde ensuite les Sulpiciens qui se consacreront à la formation des futurs prêtres. C'est lui et un laïc, Jérôme de la Dauversière, qui, en 1642 décident la fondation de Ville-Marie, projet de village dédié à Marie, qui deviendra Montréal. Saint Vincent de Paul l'a assisté sur son lit de mort.

C'est par les Sulpiciens, que le bérullisme a marqué de façon importante la spiritualité sacerdotale.

Sa méthode d'oraison, adoptée par saint Jean Eudes a duré dans nos séminaires jusqu'à 1965. Elle consistait:

a) Se mettre en présence de Dieu: adoration devant les mystères de Jésus: Jésus devant les yeux.

b) Adhérence, communion: Jésus dans le coeur

c) La coopération (le pendant de la résolution chez François de Sales). Jésus dans les mains.

3.3.3 Jean Eudes (1601-1680) et la dévotion au Sacré-Coeur

Il fut vingt ans à l'Oratoire (de 1623 à 1643). Il a été formé par Bérulle. Il a toujours gardé son orientation bérullienne, même après la fondation des Eudistes en 1643 qui est survenu pour des raisons pratiques concernant l'apostolat des Missions qu'il prêchait en Normandie et la formation des prêtres à laquelle il voulait se consacrer. En 1643 donc il quitte l'Oratoire et il ouvre le Séminaire de Caen (1643), puis ceux de Coutances (1650), de Lisieux (1653) de Rouen (1657), d'Evreux (1667), de Rennes (1670).

Il continue de se consacrer aux mission populaires qui durent de 6 à 8 semaines dans les paroisses de la région. Il en prêchera 112 durant son ministère.

C'est de 1637 à 1648 que s'élabore sa dévotion au Coeurs de Jésus et de Marie et que se fixe l'iconographie qui l'accompagne. Ne 11644, la page frontispice de Vie et Royaume de Jésus dans les âmes dont la première édition avait été faite en 1637 présente Jésus et Marie dans un seul coeur avec des sceptres et des couronnes. Vie et Royaume.. est réédité en 1648 et 1666.

Sa dévotion au Coeur de Jésus et de Marie est un traduction parlante et à la portée du peuple des intuitions bérulliennes sur les "états intérieurs du Verbe Incarné". Il transcrit le bérullisme en une piété concrète: former, sanctifier, faire vivre et régner Jésus dans les âmes. Son oeuvre principale se nomme Vie et Royaume de Jésus. Jean Orcibal écrit "Ancien familier du premier général de l'Oratoire, saint Jean Eudes lui doit l'idée des coeurs de Jésus et de Marie vivant l'un dans l'autre.... en remplaçante les ,états' par leur symbole concret, le coeur, il a réussi à adapter à l'apostolat populaire un enseignement abstrait." (p.11. L'évolution d'une spiritualité...)

Saint Jean Eudes a fait créer, en 1648, une fête pour les Saints Coeurs de Jésus et de Marie. Il en a composé l'office. Initialement, la dévotion s'adressait au Coeur de Jésus et Marie réuni en un seul. Par la suite, elle a évoluée et est devenue la dévotion au Coeur de Marie et la dévotion au Coeur de Jésus.

On peut noter ici que le symbolisme du coeur était déjà présent dans la piété au XVIIème siècle (Marie de l'Incarnation, par exemple, a une grande dévotion au Sacré Coeur de Jésus), mais saint Jean Eudes va charger cette dévotion d'un contenu dogmatique nouveau en relation avec les "états intérieurs du verbe Incarné" comme on l'a dit plus haut où l'accent est mis sur l'adhérence aux sentiments du Coeur de Jésus qui est le symbole de la personne même du Verbe Incarné.

Ce stade de la dévotion au Coeur de Jésus est très différent dans le ton et dans ses réalisations du stade ultérieur avec sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690) soutenue par le Père de la Colombière (1641-1682), jésuite qui popularisera après les fameuses apparitions de Paray-le-Monial en 1673, 1674 et 1675 une dévotion au Sacré Coeur beaucoup plus doloriste et beaucoup plus axée sur les souffrances de Jésus dans sa Passion causées par nos impiétés, nos ingratitudes, nos fautes. D'où l'insistance sur la réparation qui transforme la dévotion en pratiques (heures d'adoration, premiers vendredis du mois etc.). La contemplation du Verbe Incarné disparaît de la dévotion. C'est cette dernière forme de la dévotion au Sacré-Coeur que nous avons connu, que le Père Lelièvre, v.g., propagera avec zèle ici à Québec par l'organisation de grandes manifestations à l'occasion de la fête du Sacré-Coeur.



4. La spiritualité sacerdotale



4.1 Le but poursuivi

L'action principale de Bérulle et de ses continuateurs a été au niveau du clergé. Une réforme intérieure par le développement de la sollicitude pastorale (la "cura animarum") et par le sens de la responsabilité du pasteur d'âmes ("Régir une âme, c'est régir un royaume, disait Bérulle".) Bérulle eu beaucoup de succès à cause des groupes de prêtres fondés par ses disciples et ses amis: Oratoire, Prêtres des missions, Eudistes. Ils sont devenus les modèles pour la réforme dans les autres pays. Cela s'est diffusé un peu partout aux XVIIIe et XIXe siècles jusqu'à Vatican II: la spiritualité du prêtre est inspirée de l'école française, de Bérulle.

En 1961, c'était encore cela. Ce courant dans la spiritualité sacerdotale est devenu prédominant. Il a pris une place vide et s'est imposé partout dans le monde.

a) Dans les oeuvres mises sur pied, ils sont partis d'une réflexion sur la décadence du clergé, les besoins qu'ils ont vus en France.

b) Dans leur action concrète, ils se sont aussi inspirés du concile de Trente qui demandait aux évêques et aux prêtres de se réformer sous peine d'excommunication et d'anathème. Fini en 1563, le concile de Trente a été promulgué et accepté en France avec beaucoup de retard. Il a été promulgué en 1615.



Bérulle a essayé de faire passer dans la pratique, les décrets de la réforme pastorale. Le concile de Trente et donc aussi Bérulle insistaient sur:

1. La résidence des évêques et des prêtres dans leurs diocèses et leurs paroisses. Avant le concile de Trente, 80% ne résidaient pas, ils étaient girovagues. Ils veulent donc fixer les évêques dans leurs diocèses et les prêtres dans leurs paroisses.

2. Un autre but du concile de Trente était de montrer et de faire ressortir le sacerdoce, le sacrement de l'ordre comme un charisme social. Prêtre et évêque pour les autres, en vue de la communauté. La résidence était un moyen concret de favoriser cela.

Le concile de Trente disait lui: soyez prêtres, vivez en prêtres et manifestez-le. Faire leur prendre conscience de leur dignité de ministre du Christ. Et qu'ils devaient la manifester dans leur vie par la cohérence avec cette dignité-là. C'est là l'essentiel de la vision de l'École française. Par la suite, hélas, cette insistance sur la dignité a duré trop longtemps et a contribué à mettre le prêtre sur un piédestal et à le séparer du peuple chrétien en le mettant à part, en lui donnant un costume particulier (le port de la soutane et la tonsure datent de cette époque seulement) et en développant un esprit de "chef de peuple", comme dit le Père Congar plutôt qu'un esprit d'"homme spirituel" animé par le service de la communauté et du peuple des baptisés..

A cette époque, on ne parlait pas de pauvreté, car tous les prêtres étaient très pauvres. On insistait avec raison sur la grandeur et la dignité du prêtre. Cette préoccupation trouva une formulation théologique articulée dans la spiritualité bérullienne qui s'y prêtait bien. En effet, pour Bérulle le prêtre est l'exemplaire ( le "double" pourrait-on dire) de Jésus-Christ, le prêtre par excellence et le modèle de tous les prêtres.

Le prêtre est comme un autre Christ, "alter Christus". Cette théologie de l'exemplarité sacerdotale est très judaïque et très dyonisienne. Cf. la lettre 881 de Bérulle dans le Recueil de textes et documents. Dans cette perspective le prêtre doit toujours se saisir en relation avec le Christ dont il prolonge la présence et les fonctions. Agir en prêtre, rien qu'en prêtre, et toujours en prêtre deviendra ainsi le but de tout prêtre qui prend au sérieux sa vocation d' "autre Christ".

Vatican II a renouvelé ces perspectives: vous êtes envoyés à la communauté, vous êtes prêtres pour les autres, dire, d'abord pour les fidèles, ensuite pour vous, . On a eu tendance à faire un "en soi" du prêtre au XVIIème siècle et dans le sillage de l'École française, c'est incontestable, mais dans la situation historique du temps, c'était la meilleure chose à faire. A la longue une mentalité "cléricale" s'est développée, c'est pourquoi Vatican II a opéré une "déclergification" nécessaire, pour remettre les prêtres et les évêques sur le chemin du service et de la mission . "Consacrés", bien sûr, mais aussi "envoyés" (cf. le Décret sur le ministère et la vie des prêtres numéro 2) 1 Toutefois, nous devons noter que cette spiritualité sacerdotale de l'École française a donné de saints prêtres, tel le curé d'Ars.

La relation à la communauté n'était pas suffisante. Le concile de Trente était continuellement en réaction contre Luther qui ne parlait que du seul sacerdoce des fidèles, du sacerdoce commun. Même à Trente, on disait que l'évêque n'avait de supériorité sur le prêtre que dans la ligne de juridiction. Vatican II a renversé cela.

Donc influence par leurs congrégations et par leur action. Cent ans plus tard, la qualité était beaucoup améliorée.

> 1 C'est dans ce numéro qu'est décrit la nature du presbytérat. Comme le Christ a été consacré et envoyé ainsi tout le peuple est consacré et envoyé, mais en son sein certains ont été choisis pour continuer de façon particulière la mission du Christ Tête et Pasteur. Ce furent d'abord les Apôtres qui par la suite se sont choisis des successeurs dans cette mission. Ainsi les évêques et les prêtres, à titre de collaborateurs des évêques, sont consacrés et envoyés au service du peuple de Dieu.
Histoire de la spiritualité moderne et contemporaine (Automne 98)

Professeur: Hermann Giguère

Notes et documents sur la spiritualité bérullienne 20/8/98

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