Ce site est ouvert aux étudiants et étudiantes qui suivent les cours du professeur Hermann Giguère.
COPYRIGHT Hermann Giguère (Québec) 2005
Description
THL-15570: Histoire de la spiritualité moderne et contemporaine
Mis à jour le 2 février 2005 |
Vie et itinéraire spirituel
par Hermann Giguère
tiré de la revue Selon Sa Parole vol. 13, n.2 15 fév. 1987 pp. 10-11
Ignace de Loyola (1491-1556)
Ignace est la personnification la plus vivante de l'esprit espagnol en son âge d'or. Toute l'Espagne du XVle siècle est résumée dans la vie et l'oeuvre d'lgnace.
Ignace est né dans un village de la région de Pampelune, province de Guizpucoa en pays basque, à deux kilomètres de la ville de Azpestia où se trouvait le château-ferme des Loyola, une famille de chevaliers. Sa vie peut se diviser en quatre périodes.
LE CHEVALIER
Pendant la période où il se consacre à cette vie de chevalier, Ignace est un forcené de points d'honneur et de romans de chevalerie. Il est de moeurs légères et même mauvaises comme les gens de son rang. Il semble même être allé en prison une fois. Il est blessé au siège de Pampelune par les Français en 1521. Il reçoit un boulet sur une jambe. Sa jambe cassée reprend mal. Il se la fait briser de nouveau et on lui scie l'os à froid. À plusieurs reprises on a pensé qu'il en mourrait. Pas grand, il boitera pour le reste de sa vie. Plus tard, à Rome, il portera une chaussure avec une semelle épaisse.
Son accident fut son chemin de Damas. Il est au repos pendant plusieurs mois dans un château, sans amis et avec seulement trois livres, et d'une sorte de livre que jusque-là il ne lisait pas. La Vita Christi lui inspirera beaucoup de choses pour les Exercices spirituels. C'est un best-seller écrit par Ludolphe le Chartreux en 1377. Il comprend quatre gros in-folio ou volumes, sous forme de méditations. Il lira aussi un florilège de la vie de saints, Flos Sanctorum. C'est là qu'il a mieux connu saint François d'Assise et saint Dominique qui l'ont marqué. En troisième lieu, il lira aussi l'Imitation de Jésus-Christ. Telles sont les principales influences de sa période de conversion.
LE PÈLERIN
Après sa conversion, suit une phase pénitentielle. Ignace décide de marcher sur les traces des saints de ses lectures. II s'en va à Manrèse, et là, Dieu l'enseignera, dira-t-il, comme un maître enseigne un enfant. Il prend l'habit de pénitent. À Manrèse, il intériorise la grâce de sa conversion. C'est "son Église primitive" (encore une de ses formules) comme pour les premiers disciples. C'est une période de découvertes. Puis, il se rend à l'Abbaye de Montserrat près de Barcelone où il subit une certaine influence de l'Abbé de Montserrat. Par la suite, il entreprend un voyage à Jérusalem. Il attend un bateau pendant quelque temps à Barcelone et enfin il peut se rendre à Jérusalem où il veut demeurer, mais le Provincial des Franciscains ne l'y autorise pas. Il revient à Barcelone où il décide de commencer des études.
L'ÉTUDIANT
Ignace a maintenant trente-cinq ans environ. C'est donc une vocation tardive. Il a des difficultés dans ses études, car il n'est pas habitué à cette discipline. Il étudie la Grammaire , à Barcelone. Puis il étudie les Arts à Alcala en 1526 et ensuite à l'Université de Salamanque en 1527; puis il se rend à l'Université de Paris (1528-1535). "Ses études furent sans éclat, mais non sans mérite" (Autobiographie).
Pendant cette période, il voyage dans les Pays-Bas et en Angleterre pour y mendier durant l'été. Il obtiendra un Baccalauréat ès Arts à Paris. Il loge avec des étudiants espagnols et basques, dont François Xavier. Tous partagent les mêmes aspirations. Ignace, le plus vieux, devient comme le sage du groupe et les jeunes étudiants s'attachent à lui. Le 15 août 1534, ils font le voeu de Montmartre, voeu d'aller en Terre Sainte. Ils sont alors six compagnons: Pierre Favre, François Xavier, Lainez (successeur d'lgnace à la tête de la Compagnie), Salmeron, Rodriguez, Badavilla. "Ce serment est l'acte fondateur de la Compagnie" (Autobiographie). À partir de ce moment, Ignace arrête ses études.
LE FONDATEUR
Avec ce petit groupe de compagnons Ignace se rend en Italie, en route pour la Terre Sainte. Ne pouvant partir tout de suite, le groupe vit pauvrement, dans le nord de l'Italie, mendiant un peu, vivant de confiance et d'abandon à la Providence. Les compagnons se donnent un an pour aller à Jérusalem sinon, ils se mettront à la disposition du pape. C'est ce qu'ils feront en 1538, après être passés à Venise. Ils sont alors une dizaine. Au départ, la "volonté de Dieu" n'est pas claire pour eux. Fonder une nouvelle congrégation: est-ce bien ce qu'il faut faire? Peu à peu leur avenir prend forme à travers un discernement communautaire. Et naît la "Compagnie de Jésus".
Les Jésuites sont approuvés le 27 septembre 1540 par une Bulle du pape Paul III. Par la suite, en avril 1541, Ignace est élu premier Préposé général. Il se consacre alors à la rédaction des Constitutions, qui forment trois gros volumes. En 1546, le duc de Gandie, François de Borgia, petit neveu du pape Alexandre Vl, entre dans la Compagnie. Il deviendra Préposé général après Ignace et Lainez.
En 1548, le pape approuve les Exercices spirituels. En 1549, l'Inde est constitué en province jésuite avec saint François Xavier comme Provincial à la suite de l'Espagne et de l'Italie. François Xavier mourra en 1552, sans avoir reçu une lettre d'lgnace lui demandant de quitter les Indes pour l'Amérique.
Ignace meurt le 31 juillet 1556 à l'âge de 65 ans. Il sera béatifié en 1609 et canonisé en 1622. Son tombeau, dans l'église du Gesù à Rome, est une pièce de sculpture extraordinaire. II avait passé les dernières années de sa vie à Rome. On peut voir aussi dans l'église du Gesù l'avant-bras de saint François Xavier qui a baptisé des milliers et des milliers de convertis aux Indes puis au Japon ensuite.
MESSAGE SPIRITUEL
Ignace a donné à l'Église une spiritualité apostolique. Il fut lui-même un mystique d'action. Son influence s'est exercée au sein des congrégations de vie apostolique qui ont, pour plusieurs, adopté l'essentiel de la spiritualité ignatienne.
Les Exercices spirituels d'Ignace de Loyola(H. Giguère, professeur)
1. Les origines
Après sa conversion, à partir de 1521, durant son séjour à Manrèse, après la vision du Cardoner, Ignace les conçoit et les rédige en substance. Quand il est étudiant à Salamanque, il va les donner et devoir se défendre devant quatre juges ecclésiastiques, en 1527, pour qu'ils soient approuvés (Autobiographie, chapitre 7), car le tribunal de l'Inquisition surveille de près les spirituels.
Si le livret a été achevé à Manrèse, il n'a vu le jour que par une croissance laborieuse et des retouches, fruit d'une maturation lente et jalonnée de faits marquants dans la vie d'Ignace, mais aussi né d'une expérience. "Il ne les avait pas rédigés d'un seul coup" (Autobiographie). On ne dira jamais trop que les Exercices spirituels ont été vécus avant d'être écrits. Ce n'est pas un livre de lecture, mais une expérience à vivre.
2. Les sources principales des Exercices
La Vie du Christ par Ludolphe le Chartreux; la Vie des saints par Jacques de Voragine; l'Imitation de Jésus-Christ; l'Exercitatorio de la vidad espiritual de l'abbé bénédictin de Montserrat, Garcia Jimenez de Cisneros (1455-1510)et, bien entendu, les grâces mystiques de Manrèse, en particulier l'"illumination" du Cardoner précédée de celles reçues au moment de sa convalescence au château de Loyola après sa blessure à la jambe (Autobiographie).
3. La structure
BUT
Le livret des Exercices est un instrument d'accompagnement spirituel. C'est, avant tout, un manuel de renouvellement et de conversion, un moyen de se donner, dans le réalisme, au Seigneur, quand quelqu'un se décide pour Dieu. Au centre des Exercices, il y a l'élection ou le choix. La démarche des Exercices doit aboutir à un choix, une décision, une élection en réponse à l'interpellation évangélique de Jésus: "Viens, suis-moi".
MOYENS
Ils se retrouvent dans un ensemble de conseils organisés pour accompagner l'élection et la rendre réaliste. Les exercices proposés veulent créer les attitudes intérieures les plus aptes à favoriser le meilleur choix. La plus importante de ces attitudes est l'"indifférence". C'est l'attitude de celui qui est prêt à vouloir ce que Dieu veut et non ce que lui veut. Tant qu'on n'a pas atteint ce stade d'indifférence, ce n'est pas le temps de faire élection.
Les principaux moyens pédagogiques mis en oeuvre dans les Exercices sont:
a) l'emploi systématique de l'imagination et des sens intérieurs: trois semaines de contemplation des mystères de la vie du Christ avec composition du lieu, application des sens etc.;
b) l'excitation voulue de l'affectivité devant une scène de la vie du Christ, un sujet de méditation;
c) la transposition ascétique et morale en vue de décisions et de réalisations concrètes;
d) le contact avec l'ensemble du donné révélé sous son aspect dynamique à savoir la Révélation chrétienne telle que présentée dans la Parole de Dieu et qui continue à nous interpeller aujourd'hui;
e) des règles de discernement tirées de l'expérience.
PLAN
Au début, des Exercices il y a le principe et le fondement énoncé au numéro vingt-trois: A la base de tout, l'homme est créé pour louer Dieu et sauver son âme. Nous devons nous rendre indifférents à l'égard de toutes les choses créées.
Les Exercices sont répartis en un format de quatre semaines. Ignace va graduer et planifier le cheminement autour de chaque semaine et proposer chaque jour quelque chose de concret et de détaillé.
La PREMIÈRE semaine, Ignace met devant les yeux de l'exercitant le problème du mal, du péché, la perception du besoin de salut, avec des retours et des répétitions sur ces points de méditation.
La DEUXIÈME semaine est consacrée à l'appel de Jésus et, au quatrième jour, il propose les "deux étendards" ou "l'appel du roi". Durant cette semaine, il commence à faire contempler la vie du Christ, à préparer l'élection et à mettre en contact avec Jésus homme. A la fin, il donne des conseils sur la manière de faire élection.
La TROISIÈME semaine se passe dans la contemplation de la passion de Jésus.
La QUATRIÈME semaine continue et est consacrée à la résurrection et ce qui suit jusqu'à l'ascension.
A la fin, Ignace donne certaines règles sur le scrupule, les aumônes, l'Église et les célèbres règles sur le discernement spirituel.
4. L'utilisation
a) Les Exercices peuvent être faits pendant trente jours pleins sous la direction de quelqu'un qui se charge de dire quoi faire et à quel moment.
b) Ils peuvent être faits dans la vie courante (Annotation 14). Cette manière de vivre les Exercices consiste à faire vivre la même démarche, sans sortir de ses occupations ordinaires, mais avec un accompagnateur ou une accompagnatrice. Elle peut durer un, deux ou trois ans, selon les personnes. Celui ou celle qui dirige décide quand la personne est prête à franchir une étape donnée.
c) Ils peuvent aussi être faits sous forme de session ou de retraite de dix, cinq, trois jours, qui sont des réductions des Exercices. Mais alors, ce ne sont plus les Exercices dans leur forme authentique. Ces sessions ou retraites sont des adaptations qui s'inspirent de la démarche des Exercices.
Les Exercices sont faits en vue d'en venir à une élection à la fin. Il faut un appel et un goût pour les faire; il faut aussi un certain vécu, une certaine expérience spirituelle.
Conclusion
Par son charisme personnel et sa Congrégation, Ignace a marqué la spiritualité de façon durable. Sa congrégation, la "Compagnie de Jésus" d'où vient le nom "Jésuites" donnera le ton à la vie religieuse subséquente en introduisant une nouvelle forme de vie religieuse à vocation apostolique dont vont s'inspirer la plupart des congrégations religieuses actives.
A partir d'Ignace, on ne conçoit plus la vie religieuse uniquement en termes de clôture, de monastère, de couvent et de séparation du monde. Celui-ci a refusé, pendant cinq ans d'accéder à la demande du pape de réciter l'Office divin au choeur et il a gagné. Pour lui, les besoins apostoliques avaient priorité sur les exigences d'une présence au choeur pour la récitation de l'Office divin. Dans ce nouveau type de vie religieuse à vocation apostolique la prière est subordonnée à l'apostolat et non l'inverse, comme c'est le cas pour les moines. L'horaire du religieux est en fonction des besoins apostoliques et non en fonction de la prière au choeur.
RAVIER,André, La compagnie de Jésus sous le gouvernement d'Ignace de Loyola (1541-1556) d'après les Chroniques de J.-A. Polanco, (Collection Christus, Textes, 74), Desclée de Brouwer/Bellarmin, Paris, 1991, 400p.
Ce livre du P. Ravier résulte de sa fréquentation des Chroniques du Père Polanco, le secrétaire d'Ignace de 1547 à la mort de celui-ci, le 31 juillet 1556.
L'auteur a choisi des extraits des Chroniques en fonction "d'une atmosphère" à reconstituer. Pour ce faire, il lui a semblé que les relations d'Ignace avec les "premiers Pères" (les premiers compagnons qui sont François Xavier, Pierre Favre, Simon Rodriguez, Diego Laynez, successeur d'Ignace à la tête de la Compagnie en 1556, Alfonso Salmeron, Nicolas Alonso dit Bobadilla, Claude Jaÿ, Paschase Broët auxquels sont associés François de Borgia, Pierre Canisius et Jérôme Nadal) et celles des compagnons entre eux permettraient d'atteindre ce but. Il nous présente donc plusieurs lettres des compagnons ou d'Ignace à l'un ou l'autre de ceux-ci et aussi des textes ou des souvenirs les concernant que le P. Polanco a consigné dans ses Chroniques. Le livre se termine par un court épilogue contenant une synthèse intéressante du P. Ravier sur l'esprit de la Compagnie de Jésus au temps d'Ignace de Loyola et un tableau chronologique et géographique des missions des "primi Patres".
Ce livre permet de saisir le charisme de la Compagnie de Jésus à ses premiers surgissements et à travers la vie et les gestes des premiers membres qu'Ignace a toujours considérés comme des cofondateurs avec lui. Ce livre réjouira les admirateurs et les admiratrices de la Compagnie de Jésus et il permettra aux autres de connaître celle-ci de l'intérieur. En effet, ces Chroniques du P. Polanco avaient été rédigées pour l'usage interne et ce n'est qu'à la fin du XIXème siècle qu'elles furent publiées.
LONSDALE, David, Ignace, maître spirituel, (Collection Christus, Essais, 75), Desclée de Brouwer/Bellarmin, Paris, 1991, 224p.
Ce livre d'un jésuite anglais de l'Institut de spiritualité de Heythrop College s'adresse à un large public attiré depuis plusieurs années par des sessions sur la spiritualité ignatienne et surtout par les Exercices spirituels dans la vie courante. Ces pages nous prévient l'auteur ne veulent rien de plus qu' "offrir aux chrétiens réfléchis et intéressés, mais dépourvus de connaissances spéciales , une introduction à la façon de suivre Jésus-Christ associée au nom d'Ignace de Loyola".
Après une introduction où l'auteur prend soin de bien distinguer "spiritualité ignatienne" et "spiritualité jésuite" (celle-là ayant "préexisté" à celle de la Compagnie et étant, en un sens, plus fondamentale), le P. Lonsdale trace une esquisse de la physionomie spirituelle d'Ignace sous formes d'images correspondant aux périodes successives de sa vie: l'aspirant au rôle de héros romanesque, le soldat et homme de cour, le pèlerin, l'apôtre et l'ecclésiastique de carrière. La suite de l'ouvrage présente différents thèmes de réflexion: Ignace et Jésus, le monde et la Trinité, le discernement des esprits, la prière ignatienne, les Exercices spirituels, la direction spirituelle, l'esprit de la Compagnie de Jésus, la spiritualité ignatienne et l'Eglise, la spiritualité ignatienne et les laïcs.
L'intérêt du livre du P. Lonsdale vient du fait qu'il s'efforce, à juste titre, de faire ressortir dans la spiritualité ignatienne la valeur attribuée à l'expérience personnelle et communautaire. "La spiritualité ignatienne , écrit-il, nous ramène sans cesse vers une expérience actuelle, individuelle et collective, lieu où Dieu agit ici et maintenant et où se présentent les éléments essentiels du discernement et des décisions" (p.210).
L'ouvrage est fidèle à son propos de rejoindre un large public (catholique et non-catholique). Le vocabulaire ne comporte pas de terme spécialisé, on ne trouve que de rares notes en bas de page et le ton est plutôt celui d'un entretien familier L'auteur désire manifestement donner le goût d'en connaître plus sur la spiritualité ignatienne. Il réussit bien. Son ouvrage en donne une présentation des plus pertinentes et fournit une initiation des plus valables à ce grand maître spirituel que fut Ignace de Loyola
Document sur la mystique ignatienne (Père Philip Shano de Regis College, Toronto)
Pour appuyer et compléter ce qui a été dit en classe voici quelques réflexions du Père Philip Shano S.J. du Regis College du Toronto School of Theologie parues dans le numéro 43 (Octobre 1996) des Cahiers de spiritualité ignatienne, Suppléments qui s'intitule La volonté particulière de Dieu, pp. 91-94
A plusieurs reprises, dans notre analyse d'Ignace, écrit le Père Shano, nous nous sommes référés à la dimension mystique des Exercices et du projet ignatien tout entier. Celui qui a écrit le plus sur la nature mystique d'Ignace est peut-être Harvey Egan. Toute son oeuvre sur Ignace dérive de ce qu'il appelle l'horizon mystique d'Ignace:"cette matrice non thématique, mais réelle et ultime, contre laquelle et dans laquelle ses expériences individuelles, ses actions, sa connaissance et son amour tirent leur signification ultime et trouvent leur unité centrale" (1). En d'autres termes, l'horizon mystique va au-delà de la spiritualité et de la théologie explicites d'Ignace, pour atteindre l'horizon total dans lequel tout ce dont il fait l'expérience, tout ce qu'il connaît et aime trouve sa signification ultime. Le mysticisme d'Ignace a ses racines dans l'expérience personnelle de celui-ci, dans laquelle il a rencontré et accompli l'union intime avec Dieu et l'amour de Dieu. Ignace était mystique parce qu'"il a traversé des étapes spéciales, accordées par Dieu, de purification, d'illumination et de transformation mystiques" (2).
Dans cette expérience mystique de saint Ignace qui se trouve derrière la relation dynamique entre l'humain et le divin; dans les diverses expériences de prière qui ont, par la suite, trouvé leur voie dans les Exercices spirituels, la propre histoire personnelle d'Ignace était implicitement présente. La méthode ignatienne comprend, en son centre même, la rencontre avec la vie salvatrice et l'activité de Jésus de Nazareth. Futrell a écrit que la source du discernement ignatien est l'expérience qu'il a eue de discerner constamment la parole de Dieu et de croître constamment dans l'Esprit:
"Manrèse a été son école et une expérience vécue de croissance dans l'Esprit fut son maître. Ici, Ignace a passé à travers le processus de la découverte de son identité dans le Christ, processus qui a atteint son terme dans la grande illumination du Cardoner, alors que lui fut donnée la grâce de la clarté: une vue synthétique de lui-même et de la signification de sa vie qui intégrait dans un tout harmonieux toutes ses expériences passées et lui fournissait la norme de discernement pour toutes ses décisions à venir"(3).
En quittant Manrèse, Ignace emporta avec lui les fruits de son expérience d'une année de solitude, de combats et de grandes grâces."Des indications des importantes transformations qui s'étaient produites dans son âme moyennant les exercices le suivront partout. Avec les expériences accumulées au cours des années, ses Exercices s'enrichiront, mais demeureront substantiellement les mêmes" (4). Fondamentalement, Ignace utilise un langage expérimental et spirituel pour parler de la dynamique et du processus qui se développe progressivement, décrits par Hegel et par Lonergan en un langage plus philosophique et théologique.
Egan traite d'Ignace strictement du point de vue de son mysticisme. Il fait voir les diverses manières dont ce mysticisme est exprimé: un mysticisme trinitaire, un mysticisme centré sur le Christ, un mysticisme eucharistique, un mysticisme sacerdotal, un mysticisme marial, un mysticisme sacerdotal de service, un mysticisme d'amour révérencieux, un mysticisme de la croix, un mysticisme de la Providence divine et un mysticisme d'expériences extraordinaires. Tandis que se déroule cette liste, en ce qui regarde notre propos de la volonté de Dieu, la dimension du mysticisme ignatien qui est la plus utile est celle de son mysticisme actif et apostolique. C'est l'attitude à laquelle se réfère Ignace dans la Contemplation pour obtenir l'amour de Dieu: regarder comment Dieu habite dans les créatures, dans les éléments, dans la personne; considérer comment Dieu travaille et oeuvre pour la personne dans toutes les choses créées sur la face de la terre. Rahner considère la découverte de Dieu en toutes choses comme l'une des plus importantes caractéristiques du mysticisme ignatien. Il parle du mysticisme d'Ignace comme d'une joie dans le monde. Ce qui implique un "délice" (6)dans le Dieu qui " a fait irruption dans l'exercice de l'homme et anéanti le monde" (7). Rahner dit que
L'affirmation ignatienne du monde n'est pas une forme d'optimisme naïf, pas une installation de soi-même dans le monde comme si nous y avions le centre de nos vies. La joie d'Ignace dans le monde jaillit du mysticisme de conformité avec celui qu'on a rejoint dans la fuite du monde (8).
Egan écrit qu'Ignace était "un incomparable mystique dont les dons mystiques et apostoliques constituent réellement les deux côtés d'une même médaille" (9). Son influent travail apostolique était l'expression et l'incorporation sacramentelle de son mysticisme radical. Les Exercices sont un paradigme du mysticisme incarné, sacramentel et kataphatique qui trouve Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu; il "ne dissocie jamais amour de Dieu, prochain et monde " (10). Bien plutôt, il s'incarne dans une communauté d'amour en vue d'un service apostolique effectif (11). C'est la via affirmativa qui met l'accent sur la similarité entre Dieu et les créatures: Dieu s'est manifesté dans la création et l'histoire du salut.
L'unio mystica ignatienne va au-delà du royaume de la contemplation, pour trouver l'union avec Dieu dans l'activité d'un chacun dans le monde, sur la place publique. Hugo Rahner nous dit que l'idéal ignatien était un mysticisme qui prend plaisir dans " ce qui est en bas "(12). L'immédiateté de Dieu est sacramentellement incarnée en Jésus. En même temps, la christocentricité radicale des Exercices empêche la vision ignatienne de tomber dans les extrêmes du transcendantalisme et de l'immanentisme. Le mysticisme ignatien de la vie quotidienne comprend une dialectique inhérente d'ascension et de descente dans l'interjeu de l'objectif et du subjectif. Notre présentation de penseurs comme Cusson et Crowe révèle la relation dynamique à la base de la méthodologie ignatienne du discernement. Il y a "deux motions en directions contraires, l'une menant à Dieu et l'autre revenant de lui" (13). Le discernement est un processus dynamique total qui requiert une dialectique continuelle de notre mouvement ascendant vers Dieu et la présence descendante, ou incarnée, de Dieu dans le monde et dans les coeurs des hommes et des femmes. Cusson résume l'interjeu mystiquement dialectique:
L'accomplissement final de salut révélé par Dieu... est le mouvement progressif du monde vers Dieu, moyennant la venue du Christ qui a assumé la totalité de notre condition humaine, du monde qui, maintenant renouvelé, retrouve sur lui-même la marque divine de l'origine et la sublime ordination que l'acte créateur de Dieu a imprimée sur lui (14).
-------------------------
1 EGAN, Harvey, The Spiritual Exercises and the Ignatian Mystical Horizon, avec préface de Karl Rahner, St.Louis, The Institute of Jésuit Sources, 1976, p. xviii. Egan s'appuie sur les idées de Johannes Metz.
2 EGAN, Ignatius Loyola the Mystic, p. 30.
3 FUTRELL, John Carroll, in Studies in the Spirituality of Jesuits, II, 2 (April 1970), p.53.
4 CUSSON, Gilles, Biblical Theology and the Spiritual Exercises, trans. Mary Angela Roduit and George Gauss, avec préface de George Gauss, St-Louis, The Institute of Jesuit Sources, 1988, p. 332.
5 Ignace, Exercices, nos 235-236.
6 RAHNER, Karl, The Dynamic Element in the Church, trans. W.J. O'Hara, Montréal, Palm Publishers, 1964, p. 155.
7 RAHNER, Karl, in Theological Investigations, vol. III: The Theology of the Spiritual Life, trans. Karl-H. and Boniface Kruger, London, Darton, Longman & Todd, 1967, p. 285.
8 Ibid., p. 293.
9 EGAN, Ignatius Loyola the Mystic, p. 19.
10 Ibid., pp. 15-16.
11 Ibid., pp. 141-142.
12 RAHNER, Hugo, Ignatius the Theologian, trans. Michael Barry, New York, Herder and Herder, 1968, p. 19. Semblable mysticisme se retrouve également dans l'oeuvre de Jürgen Moltmann... Voir, par exemple, Experiences of God, London, SCM Press, 1980, p. 76.
13 CHANTRAINE, Georges, dans Communio-International Catholic review 13(Summer 1986), p. 164.
14 CUSSON, Biblical Theology, p. 323.
|