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Cours THL- 15770: HISTOIRE DE LA SPIRITUALITÉ MODERNE ET CONTEMPORAINE
Automne 1998

LA SPIRITUALITÉ EN NOUVELLE-FRANCE (Vue d'ensemble)



L'histoire spirituelle de la colonie française qu'est la Nouvelle-France jusqu'en 1763 est à l'image du renouveau catholique en France et elle repose sur un tissu serré de rapports personnels. C'est le fait d'un noyau fervent de personnes qui se sont connues, dans le genre du milieu dévot en France. Elles entretiennent des relations entre elles ici et des rapports personnels avec les agents de la réforme en France. Les échanges se sont faits notamment:
--par les écrits de Champlain qui ont du succès en France;
--par les Relations des Jésuites qui sont éditées en France et lues dans leurs collèges et qui créent une ambiance d'enthousiasme;
--par des visites ( entre 1659 et 1688, Mgr de Laval fit trois séjours en France, soit environ douze ans). Ces visites avaient des incidences ici, c'est certain.
C'est ainsi que la spiritualité en Nouvelle-France sera comme une extension en terre d'Amérique du renouveau qui se développe en France au même moment.
1. Population et situation politique
Contrairement aux colonies anglaises du sud, la colonie française n'a jamais été principalement une colonie de peuplement. La population fut toujours en petit nombre et très disséminée.
En 1760, on comptait un million d'habitants au sud. En Nouvelle-France, on n'en comptait que soixante à soixante-cinq mille. De 1608 à 1763, il n'y a pas eu plus de dix mille Français à venir au Canada. Mais l'accroissement naturel et la fécondité des familles se fit à un rythme effarant. Le taux de mortalité ici était moins élevé que celui de la France à la même époque. Même si les conditions étaient rudes, elles étaient plus saines.
Sur les dix mille Français qui vinrent ici, on compte:
Trois mille cinq cents soldats;
Mille cent femmes, des filles du roi pour la plupart, c'est-à-dire des orphelines ou des filles qui étaient sous la tutelle du roi.
Mille prisonniers: des braconniers ou des fauteurs de petits délits.
Trois mille neuf cents engagés pour faire du travail ici durant trois ans. Beaucoup restaient par la suite.
Cinq cents paysans libres, venus de leur gré.
Après l'arrivée de Mgr de Laval, soit de 1660 à 1680, il arrive ici deux mille quatre-vingts personnes. C'est l'époque de Jean Talon. A l'arrivée de Marie de l'Incarnation, en 1639 il n'y avait que trois cents personnes ici et deux mille cinq cents à l'arrivée de Mgr de Laval en 1659.
La colonie a toujours été plutôt un réservoir de fourrures et un lieu de commerce. Il y avait des populations concentrées à Québec, Trois-Rivières et Montréal. Le reste, c'étaient des forts.
C'est donc une histoire de pionniers où les relations humaines sont personnalisées et où la population doit s'aider pour vivre. La vie religieuse sera dégagée des institutions et des structures de l'Europe et évitera ainsi certains défauts. Dans le quotidien, il y a des luttes pour vivre, donc un caractère grave et austère.
Aspect politique. Jusqu'en 1660, la situation politique de la colonie était la responsabilité de compagnies en France. On a ainsi la compagnie des Cent associés dont Richelieu est le président. Ces compagnies se consacrent au commerce des peaux de fourrure.
En 1661, après la prise de pouvoir par le roi Louis XIV , celui-ci décide d'organiser la colonie sur le modèle d'une province française avec un conseil souverain comprenant le gouverneur, l'évêque, l'intendant et les conseillers choisis par le roi.
2. Dynamisme spirituel des débuts (épopée mystique)
"Fondée par une France religieuse...l'Église canadienne à ses débuts manifeste un dynamisme spirituel d'une rare grandeur" (Georges Goyau, de l'Académie française).
En 1639, arrivent les Ursulines et les Augustines hospitalières. En 1642, un autre groupe arrive à Montréal. Les principales manifestations de ce dynamisme sont les suivantes.
a) Les missionnaires sont expressément mus par l'idéal de la croix et l'attrait du martyre.
b) Marie de l'Incarnation et Catherine de Saint-Augustin vont conjuguer les états d'oraison très élevés et contemplatifs avec une action apostolique que les adversités ne réussiront pas à tuer comme l'incendie du monastère des Ursulines en 1650, la crainte d'être rayés de la carte lors de la destruction de la Huronie et le martyre des pères jésuites.
c) Les fondateurs de Montréal, Maisonneuve, Jeanne Mance et Marguerite Bourgeois vont créer un établissement de type monastique sur l'île de Montréal avec une vie très réglementée, des offices et pratique religieuse, etc. La vie y sera très différente de celle de Québec, très contrôlée par Maisonneuve et son groupe de fondateurs. Vie aussi où la menace des Iroquois va pousser constamment à la pensée de l'éternité.
d) Mgr de Laval va former ses prêtres à l'abnégation et à la vie commune. Il a une rigueur évangélique pour ses prêtres qui sont peu nombreux. A l'époque, il y a six ou sept prêtres séculiers, en plus des Jésuites.
e) Les Sulpiciens vont apporter à Montréal la spiritualité de Monsieur Olier et des disciples de Bérulle.
f) On va appliquer dans certains cas la pénitence publique pour le sacrement de pénitence.
3. Raisons principales de ce dynamisme
a) L'absence de luttes gallicanes. Il n'y a qu'un évêque ici et Mgr de Laval a toujours refusé le gallicanisme où le roi avait une autorité complète sur l'Église. Mgr de Laval se réfère toujours au pape. L'absence aussi de luttes jansénistes qui causaient des divisions en France. Il y a une mentalité rigoriste, mais non janséniste et pas de querelles ici.
b) Les huguenots (calvinistes ou protestants réformés) n'avaient pas le droit d'immigrer dans la colonie et le peu qui y venait ne faisait aucun prosélytisme.
c) Il n'y a jamais eu de haut clergé ici avec opulence, richesse et absentéisme comme en France. C'est un des mérites de Mgr de Laval d'avoir eu le même style de vie que ses prêtres. Lors de sa retraite en 1688 et jusqu'à sa mort en 1708, il a vécu au séminaire après lui avoir donné tous ses biens. Les gens étaient pauvres et les prêtres aussi.
d) Les conditions de vie qui étaient très rudes. On était malgré soi invité à l'essentiel.
e) Une pastorale adaptée aux conditions de vie: en 1663, on a créé la Confrérie de la Sainte Famille. Elle fut commencée par le Père Chaumonot et en 1665, Mgr de Laval lui donna la reconnaissance canonique. Elle est à l'origine de la célébration de la fête de la Sainte Famille et de l'image ou de la statue de la Sainte Famille que l'on voit encore dans plusieurs foyers québécois.
Mgr de Laval a regroupé les chrétiens autour d'une unité pastorale, les paroisses. Ici, elles furent fondées avant les entités civiles ou municipalités. L'idée était de donner un point de référence sociologique aux gens dispersés sur l'immense territoire.
Par contre cela a contribué à une mentalité d'autosuffisance un peu close où les particularismes étaient très accentués d'une paroisse ou d'une région à l'autre. Cela a contribué à donner force aux gens disséminés. Le clergé a pris une importance très grande, dans l'esprit du concile de Trente.

4. Nouvelles fondations
En 1653, Marguerite Bourgeois fonde la Congrégation Notre-Dame, dans l'esprit des congrégations de Monsieur Vincent. C'étaient des dames et non des religieuses. Elles sont à Québec en 1689. Marguerite Bourgeois était venue en raquettes à Québec voir Mgr de Laval pour défendre sa communauté.
En 1663, le 25 mars, Mgr de Laval fonde le Séminaire de Québec. SME: Séminaire des missions étrangères à Québec. Il était rattaché au SME de Paris. C'était un regroupement des prêtres et tous les revenus des paroisses étaient versés au SME qui subvenait ensuite aux prêtres dans leur vieillesse. C'était une sorte de regroupement de tout le presbyterium au service du diocèse..
En 1692, le frère Charron de la Barre fonde les frères Hospitaliers de Saint-Joseph. Cette communauté n'a pas survécu.
Marguerite d'Youville commence la fondation des Soeurs Grises en 1738. C'est officiel en 1747. On les appelait "Grises" parce qu'on les accusait de "prendre un petit coup", (grises: dégrisés) vu qu'elles s'occupaient des robineux de l'époque.
5. Le climat et les influences spirituelles
CLIMAT SPIRITUEL
On pourrait décrire le climat spirituel par les quatre caractéristiques suivantes:
- intense vie intérieure
- austérité et rigorisme
- passion de l'apostolat ou de l'évangélisation.
Commentons brièvement.
a) Au XVIIe siècle, dans la colonie, il y a une haute et intense vie intérieure qui se manifeste dans la vie contemplative qui va s'épanouir chez Marie de l'Incarnation, Catherine de Saint-Augustin, Jean de Brébeuf qui fut un grand mystique, et dans des écrits de très grande valeur dont les lettres et relations autobiographiques de Marie de l'Incarnation et les Relations des Jésuites.
b) Le climat austérité très grande, la pénitence publique, le rigorisme moral avec Mgr de Laval et Mgr de Saint-Vallier. Ce climat d'austérité n'est pas d'abord et avant tout vu comme un moyen d'ascèse ou une mortification. Certes, il y a un caractère d'ascèse mais il est dû aux conditions de vie du pays. Il va développer le sens du partage.
Quand on a à peine ce qu'il faut pour vivre, on ne parle pas d'ascèse. C'est une austérité, mais on ne se prive pas. On vit avec le peu qu'on a et on partage. Cet aspect de partage est resté sous forme de corvée..
Comme exemple d'austérité: Mgr de Laval ne voulait pas que les Ursulines chantent l'office et il les obligeait au recto tono pour éviter la vanité et l'orgueil! Marie de l'Incarnation a plaidé que l'on chantait à Tours, mais en vain et elle dut se soumettre.
c) Une passion de l'apostolat ou de l'évangélisation. Dès le lendemain de son arrivée, Mgr de Laval va visiter toutes les familles du village de Québec; il y en avait une centaine environ. Et il va continuer cela toute sa vie. Il fit de nombreuses visites pastorales dans des conditions très difficiles cf. mon article de la revue Communio intitulé "Un saint évêque: le bienheureux François de Laval", dans Communio, n.V, 5 (1980) 81-89. Les Jésuites et les missionnaires vont se consacrer à l'évangélisation des Indiens. Durant toute sa vie, Marie de l'Incarnation fut motivée par ce sens de l'apostolat. "Tout est pour les sauvages et je n'ai plus rien à moi, et je ne puis plus disposer de rien".
INFLUENCES SPIRITUELLES
En ce qui concerne les influences spirituelles dans la colonie, elles proviennent de ceux et celles qui se sont installés ici sur les bords du Saint-Laurent y transplantant leurs préoccupations spirituelles et leurs vision particulière de la vie spirituelle.
Écoles de spiritualité présentes:
Il y a deux écoles de spiritualité qui auront une influence en Nouvelle-France: l'école jésuite influencée par le Père Louis Lallemant et l'école bérullienne adaptée par Monsieur Olier et les Sulpiciens pour la région de Montréal. Monsieur Olier n'est jamais venu au Canada. L'école bérullienne influence surtout dans son adaptation sulpicienne.
Il ne semble pas y avoir eu beaucoup d'autres influences d'école de spiritualité sous le régime français. Les Récollets (qui étaient des franciscains) avaient eu une action auprès des Indiens avant l'arrivée des jésuites mais ils furent absents de 1630 à 1675 et ainsi leur influence ne dura pas. La spiritualité franciscaine n'a pas laissé de trace dans la colonie.
On se demande s'il y a une influence salésienne dans l'insistance sur le devoir d'état et sur les tâches familiales. Il est certain que ces thèmes sont très présents chez saint François de Sales et que celui-ci était fort admiré en Nouvelle-France. Mais il faut noter qu'il n'y a pas que l'influence salésienne qui puisse cette insistance. En effet, c'était aussi un thème très bérullien que cette spiritualité du devoir d'état.
Ces deux influences vont durer aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il faudra attendre le XIXe siècle pour voir arriver les Carmélites à Montréal et les Cisterciens (Trappistes) à Oka suivis des Bénédictins dans l'Estrie. En fait, pour nous, tout passe par le courant jésuite et bérullien.

Histoire de la spiritualité moderne et contemporaine (Automne 1998)

Hermann Giguère, professeur

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