Henri Guybet, le rigolo de service

Issu de la grande cuvée du Café de la Gare, il collectionne les seconds rôles. Le dernier en date : un financier dans Pétrole ! Pétrole !

Tous les comédiens sont d'accord là-dessus : le café-théâtre est une excellente école à condition d'en sortir. Certains (Miou-Miou, Dewaere pour ne citer qu'eux) s'en sont tirés haut la main ; d'autres beaucoup, beaucoup moins brillamment. Ainsi Henri Guybet, pourtant à l'origine avec Romain Bouteille du Café de la Gare, qui n'aura guère connu, au cinéma du moins, que la galère des seconds rôles et celle des comiques d'appoint. Dix ans plus tard, il continue de jouer les faire-valoir, derrière Jean-Pierre Marielle et Bernard Blier. Dans Pétrole ! Pétrole ! le dernier en date de Christian Gion, il incarne un financier diabolique.

Pétrole ! Pétrole ! vous l'avez vu? interroge-t-il sans même s'asseoir. Moi, pas encore. De toute façon, je ne perds rien. C'est chaque fois pareil. Dès que je me rends visite au cinéma, j'en reviens toujours à cette affreuse conclusion (grimaces). C'est indéniable. Même en me forçant, je ne ressemble pas à Robert Redford...

Retranché derrière un triste Perrier-rondelle, il plastronne, débite quolibets sur plaisanteries, anxieux en réalité de voir poindre dans la conversation le genre de question qu'il abomine. Pourquoi toujours les seconds rôles ? Les [illisible] rigolos en série ?

Mais je ne joue pas que cela ! s'exclame-t-il, outré. D'accord, j'ai toujours su faire rire. Et forcément les metteurs en scène ont eu envie d'exploiter ce don au cinéma. Avec la "tronche" que j'ai, hein, il était difficile de m'engager dans des compositions de jeune premier ? Mais ne vous y fiez pas. Tout cela ne m'empêche pas de jouer sur bien d'autres registres au théâtre. Pourquoi aurais-je honte de faire rire ? C'est la chose la plus belle du monde !..

Mais où est donc passée la Septième Compagnie (sic), Clopin, clopant (sic), O.K. Léon(sic), La Septième fait tout sauter (sic), Pétrole ! Pétrole ! Il n'en a pas raté une seule de ces petites comédies qui vous dérident la vie, Henri Guybet.

C'est d'accord, poursuit-il, je n'ai pas toujours travaillé sur des sujets fantastiques. Mais j'aime l'argent et, je n'ai pas peur de le dire, tant que l'on n'aura pas saisi à quel point le rire pouvait être corrosif (tenez, Aristophane chez les Grecs ! voilà quelqu'un qui savait tirer parti du comique), je ne vois pas pourquoi je me priverais de travailler, n'est-ce pas?

De là à imaginer que Pétrole ! Pétrole ! même à l'état de tournage, n'a pas concrétisé toutes les attentes de l'acteur...

C'est un sujet qui part d'un fait divers bien réel, commente-t-il le plus sérieusement du monde, une affaire qui s'était produite à Marseille il y a quelques années, un petit exploitant de pétrole qui avait chercher à se poser en concurrent vis-à-vis des grandes compagnies pétrolières et qui y était parvenu... Bien sûr, le tout a été considérablement allégé dans le scénario...

Henri Guybet est un homme fidèle :

Les amis, c'est une denrée rare, il faut les garder. À l'époque du Café de la Gare, j'aurais pu changer d'agent comme les autres. On me l'a proposé. Mais j'ai refusé. Et je ne l'ai jamais regretté.


Victime d'un caricaturiste
aussi bête que méchant...
Détail du poster de Pétrole ! Pétrole !

L'article est illustré par une photo très peu flatteuse de monsieur Guybet (de profil, avec un air d'abruti en pleine déconfiture ; ce pourrait être une scène de Ils sont fous ces sorciers).

1er juillet 1981

Marie-Elizabeth Rouchy

Origine inconnue

Article disponible
à la Cinémathèque Québécoise
dans le dossier de presse d'Henri Guybet

Le commentaire de Cinéphilia

Si toutes les interviews d'Henri Guybet ressemblaient aux deux que j'ai trouvées jusqu'ici, le pauvre homme devait les avoir en horreur. Au lieu de parler de son métier dans une atmosphère amicale et détendue, il devait défendre à la fois son talent et les rôles qu'il avait tenus au cinéma. La journaliste semble avoir un certain mépris pour monsieur Guybet, et ne fait même pas l'effort de citer des vrais titres de sa filmographie. Certes, pour ne pas que son article soit tout à fait assassin, elle admet qu'Henri Guybet est un homme fidèle à ses amis et à son agent, mais "ces petites comédies qui vous dérident la vie" ne sont-elles pas un crime contre le cinéma avec un grand C ?

Avec la "tronche" que j'ai, hein, il était difficile de m'engager dans des compositions de jeune premier ? dit monsieur Guybet. Certes, mais il y a très peu de "jeunes premiers" parmi les immortels du cinéma. Des comédiens au physique beaucoup plus ingrat que lui ont joué de nombreux grands rôles dramatiques : Michel Simon, Charles Laughton, pour ne nommer qu'eux... Parmi les contemporains de Henri Guybet, on compte deux acteurs américains avec un peu le même type de "tronche" : Dustin Hoffman et Ron Leibman (l'inoubliable syndicaliste dans Norma Rae, aujourd'hui une star de Broadway). Leur "tronche" ne les a pas empêchés d'incarner plusieurs personnages intéressants dans des films excellents.

Henri Guybet a eu moins de chance avec sa carrière que Hoffman et Leibman. Mais pourquoi faudrait-t-il le blâmer de ce manque de chance ? Un acteur a une chance sur mille de percer, et je suis certaine que beaucoup de comédiens souhaiteraient avoir tourné dans autant de films que monsieur Guybet.

Un comédien n'est jamais tout à fait "arrivé". L'oubli et la pauvreté le guettent presque toujours (à moins qu'il ne soit une grande, grande star comme Hoffman ou Depardieu). Il doit faire ses preuves dans chaque film, rester actif sans se surexposer pour ne pas provoquer la lassitude du public et des producteurs, incarner des rôles variés sans jamais tout à fait perdre cette personnalité qui l'a rendu populaire, gagner le plus d'argent possible en prévision du retour inévitable des vaches maigres...

Et, question fric mise à part, un acteur a, moralement, autant besoin de travailler qu'un plombier. La plupart des gens ont le cafard quand ils sont en chômage, et les comédiens ne font pas exception. Mais, hélas ! le public s'imagine que les acteurs sont différents et qu'ils se "prostituent" quand ils ne tournent pas dans un chef-d'œuvre...

Le star-system est quelque chose qui m'exaspère. Un comédien inconnu n'est "personne", un second rôle "quelqu'un" et une star un aristocrate devant lequel des tas de gens se mettent à plat ventre...

J'ai beaucoup réfléchi à ce sujet depuis que j'ai commencé mon site Web sur David Warner, il y a deux ans. Il a tourné dans plus de cent films et il doit encore passer des auditions pour des rôles dans des films de série B ou pour être la vedette invitée d'une télésérie... Star importante dans les années soixante et soixante-dix, monsieur Warner est aujourd'hui un "aristocrate déchu" mais il est encore "quelqu'un" d'assez important pour que son nom figure sur l'affiche de Titanic.

On me demande souvent pourquoi j'ai choisi de faire un site Web sur un acteur aussi "obscur" que monsieur Warner. L'important, pour moi, ce n'est pas la popularité d'un comédien, mais l'admiration que j'ai pour son talent. Je dois aussi l'aimer un peu plus que ses confrères... Au fond, c'est toujours pour moi-même que je crée un site Web ; si des gens s'y intéressent, tant mieux, s'il n'attire pas un chat, tant pis.

L'obscurité d'un acteur est une chose toute relative. Je suis certaine qu'en France monsieur Guybet est beaucoup plus connu que David Warner.

Les 12 et 20 décembre 2000. Tous droits réservés.

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